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La semaine du droit de la famille

Civil - Personnes et famille/patrimoine
29/06/2020
Présentation des dispositifs des derniers arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit de la famille.
Demande en divorce – État compétent
« Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 21 juin 2018), Monsieur X, de nationalité moldave et roumaine et Madame Y, de nationalité bulgare et russe, se sont mariés le 24 avril 2004 à Chisinau (République de Moldavie). Madame Y a, par requête du 13 octobre 2017, saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Chaumont d’une demande en divorce. Par ordonnance du 18 janvier 2018, rendue par défaut, celui-ci, après avoir retenu la compétence du juge français et l’application de la loi française relativement au divorce des époux, aux obligations alimentaires et à la responsabilité parentale, et constaté la non-conciliation des époux, a prescrit les mesures nécessaires pour assurer leur existence et celle des enfants jusqu'à la date à laquelle le jugement serait passé en force de chose jugée.
(…) Vu l’article 3 du règlement no 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit Bruxelles
II bis, relatif à la compétence, à la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale :
Il résulte de ce texte qu’une juridiction d’un Etat membre est compétente pour connaître d’une demande en divorce, dès lors que l’un des critères alternatifs de compétence qu’il énonce est localisé sur le territoire de cet Etat, peu important que les époux soient ressortissants d’Etats tiers ou que l’époux défendeur soit domicilié dans un Etat tiers. Cette règle de compétence est exclusive de toute règle de compétence de droit international privé commun.
Pour déclarer la juridiction française incompétente, l’arrêt retient que le règlement précité n’a vocation à réglementer que les rapports entre ressortissants d’Etats membres de l’Union européenne, ce qui n’est pas le cas de la Moldavie qui n’a pas adhéré à l’Union européenne et n’est pas soumise à la réglementation qui la régit.
En statuant ainsi, sans examiner, comme il lui incombait, sa compétence au regard des critères qu’il énonce, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
 Cass. 1re civ., 24 juin 2020, n° 19-11.714, P+B*


Relations de l’enfant avec un tiers – intérêt de l’enfant
« Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 14 janvier 2019), Mme X... et Mme Y... ont vécu ensemble de 2004 à septembre 2015. L’enfant C... Y... est née le [...], reconnue par Mme Y.... Après la séparation du couple en septembre 2015, Mme X... a assigné Mme Y... devant le juge aux affaires familiales afin que soient fixées les modalités de ses relations avec l’enfant.
(…) Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
Aux termes de l’article 14 de la même Convention, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
Aux termes de l’article 371-4, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.
Ce texte permet le maintien des liens entre l’enfant et l’ancienne compagne ou l’ancien compagnon de sa mère ou de son père lorsque des liens affectifs durables ont été noués, tout en le conditionnant à l’intérêt de l’enfant.
En ce qu’il tend, en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait, en lui-même, méconnaître les exigences conventionnelles résultant des articles 3, § 1, de la Convention de New- York et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il ne saurait davantage méconnaître les exigences résultant de l’article 14 de cette même Convention dès lors qu’il n’opère, en lui-même, aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d’autres dispositions légales selon lesquelles la création d’un double lien de filiation au sein d’un couple de même sexe implique, en l’état du droit positif, l’adoption de l’enfant par le conjoint de son père ou de sa mère.
L’arrêt relève que Mme X..., bien que réticente à l’idée d’accueillir un enfant au sein de son foyer, s’est impliquée dans le projet de Mme Y... dès la conception de l’enfant, étant présente pour l’insémination, le suivi médical de la grossesse et au moment de l’accouchement. Il constate que la naissance de l’enfant a été annoncée par les deux femmes au moyen d’un faire-part mentionnant leurs deux noms. Il ajoute que chacune d’elles s’est investie dans le quotidien de l’enfant après sa naissance et qu’un droit de visite et d’hébergement amiable une fin de semaine sur deux a été instauré au bénéfice de Mme X... à l’issue de la séparation du couple, en septembre 2015.
Il relève cependant que le droit de visite et d’hébergement de Mme X... a cessé d’être exercé dès le mois de janvier 2016, Mme Y... refusant que sa fille continue de voir son ancienne compagne en raison du comportement violent de celle-ci. Il précise que, si le caractère conflictuel de la séparation n’est pas contesté par les parties, la violence des interventions de Mme X... à l’égard de Mme Y... est attestée par les pièces produites, qui font état d’intrusions sur le lieu de travail de celle-ci et au domicile de ses parents, en présence de l’enfant, qui a été le témoin de ses comportements véhéments et emportés.
Il estime que ces confrontations, en présence de l’enfant, ont généré une crainte et une réticence réelle de celle-ci à l’idée de se rendre chez Mme X..., et que cette dernière n’a pas su préserver C... du conflit avec son ancienne compagne, ce qui est de nature à perturber son équilibre psychique.
Il retient enfin que, si Mme X... a pu résider de manière stable avec l’enfant du temps de la vie commune du couple et a pourvu à son éducation et à son entretien sur cette même période, la preuve du développement d’une relation forte et de l’existence d’un lien d’affection durable avec C... n’est pas rapportée.
De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a souverainement déduit qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant d’accueillir la demande de Mme X.... Elle a ainsi, par une décision motivée, statuant en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être primordial, légalement justifié sa décision, sans porter atteinte de façon disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme X....
 Il n’y a pas donc lieu d’accueillir la demande aux fins d’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme
 ».
 Cass. 1re civ., 24 juin 2020, n° 19-15.198, P+B+I*


Intérêt du majeur protégé – rupture totale du lien familial
« Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 février 2019), un jugement du 5 septembre 2011 a placé Madame X sous tutelle pour une durée de cinq ans. Lors du renouvellement de la mesure, le 11 juillet 2016, le juge des tutelles a, après une ordonnance de dispense d’audition du 7 juin 2016, désigné Monsieur Y, mandataire judiciaire à la protection des majeurs, en qualité de tuteur. Un arrêt du 17 mai 2018, rendu après une expertise médicale, a confirmé ce jugement et rejeté la demande de Madame X, frère de la majeure protégée, tendant à sa désignation en qualité de tuteur.
Par requête du 27 avril 2018, Monsieur Y a saisi le juge des tutelles afin que les visites de Madame X à sa soeur soient interdites.
(…) Selon l’article 459-2 du Code civil, la personne protégée entretient librement des relations personnelles avec tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d’être visitée et, le cas échéant, hébergée par ceux-ci. En cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué statue.
Aux termes de l’article 415, alinéa 3, du Code civil, la mesure de protection a pour finalité l’intérêt de la personne protégée.
Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
L’arrêt relève que le rapport d’expertise médicale du 21 septembre 2017 a confirmé, après examen des nombreux certificats communiqués par Monsieur Z et consultation des divers praticiens intervenant auprès de Madame X, les troubles graves de la personnalité et du comportement dont celle-ci souffre, en rapport avec une structure psychotique de type schizophrénique, et a précisé qu’elle n'était pas à même d'exprimer sa volonté de manière cohérente et adaptée.
Il constate que la requête du tuteur tendant à la suppression de toutes les visites de Monsieur Z à sa soeur était accompagnée d'un certificat médical du 27 avril 2018, précisant que la nouvelle hospitalisation de la majeure protégée en service de psychiatrie résultait de l'impossibilité, pour la maison de retraite dans laquelle elle résidait, de gérer les intrusions multiples de Monsieur Z, et que les contacts de Madame X avec son frère étaient des facteurs majeurs de déstabilisation psychique. Il ajoute qu'il était préconisé, par l'ensemble du service de psychiatrie, l'interdiction de toute visite et ce, quel que soit le lieu de vie institutionnel de Madame X.
Il énonce qu’était également joint à la requête la lettre du chef de pôle du centre hospitalier à Monsieur Z, datée du 6 avril 2018, lui indiquant que, dans l'intérêt de sa soeur, les visites n’étaient pas autorisées.
Il constate que la posture de Monsieur Z, qui persiste à se présenter comme le seul compétent pour déterminer l’intérêt de sa soeur, au risque de parasiter sa prise en charge, ne cesse de s'illustrer, au sein des divers lieux de vie et dans les salles d'audience, et que celui-ci n’entend pas le message des professionnels, alors même que l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018, rendue à l’occasion de la demande de suspension de l'exécution provisoire, avait suggéré une meilleure acceptation de sa part du projet mis en place pour sa soeur avant d'envisager un rétablissement des visites.
Il relève encore que l’irrespect par Monsieur Z du déroulement de l'audience, au point de motiver son invitation à quitter la salle, ne permet pas d'augurer positivement d'une évolution, et que la virulence de ses propos, voire la violence, le recours à certains stratagèmes, comme illustré dans les diverses plaintes déposées par le tuteur professionnel, légitiment l'interdiction des visites, seule de nature à permettre le retour d’une certaine sérénité autour de Madame X.
Il observe enfin que cette sérénité est bénéfique à la majeure protégée, qui n’a plus été hospitalisée en psychiatrie depuis la décision d’interdiction, sans que les attestations versées par Monsieur Z ne suffisent à contredire cette réalité médicale.
Par ces motifs, qui font ressortir la nécessité d’une rupture totale du lien familial, dans l’attente d’une évolution du comportement de Monsieur Z, et l’impossibilité d’un encadrement des visites ou de contacts téléphoniques, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre Monsieur Z dans le détail de son argumentation ni de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle décidait d’écarter, a statué dans l’intérêt de la majeure protégée, souverainement apprécié, justifiant légalement sa décision au regard des textes susvisés ».
 Cass. 1re civ., 24 juin 2020, n° 19-15.781, P+B*

 Personne en curatelle – Action en justice
« Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 10 septembre 2018), Monsieur et Madame X ont vécu en concubinage pendant plus de vingt ans. Ils se sont séparés en juin 2014. Le 16 janvier 2015, Madame X a assigné Monsieur Y devant le juge aux affaires familiales, sollicitant sa condamnation au paiement de la somme de 61 097 euros.
(…) Selon l’article 468, alinéa 3, du Code civil, la personne en curatelle ne peut introduire une action en justice ou y défendre sans l'assistance du curateur.
Il résulte des productions qu’un jugement du 31 juillet 2018 a placé Monsieur Y sous curatelle renforcée pour une durée de cinq ans, l’association MSA Tutelles étant désignée en qualité de curateur.
Cependant, cette décision est intervenue en cours de délibéré devant la cour d’appel, sans que Monsieur Y, qui était représenté par un avocat, ne soutienne en avoir informé cette juridiction ni avoir sollicité la réouverture des débats.
En conséquence, il disposait de sa pleine capacité juridique à la date des derniers actes de la procédure, de sorte que l’assistance du curateur n’était pas requise.
Le moyen n’est donc pas fondé ».
Cass. 1re civ., 24 juin 2020, n° 19-16.337, P+B*

*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 29 juillet 2020
 
 
 
 
Source : Actualités du droit